Atlantide, la cité imaginaire : Conclusion (11/11)

Ce texte est la dixième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 12345678910

Conclusion

D’un mythe politique rédigé il y a plusieurs millénaires nous sommes passés à des études se voulant scientifiques et à des dizaines de romans reflétant dans l’Atlantide l’image de leur propre époque. L’Atlantide s’est avéré être un mythe particulièrement flexible que toutes les époques ont pu reprendre à leur compte sans le dénaturer, sans lui faire perdre sa force.

Je citerais ici un autre passage de Jules Vernes, reprenant juste après que le capitaine Nemo ait écrit à Aronax le nom de la mystérieuse cité engloutie :

Quel éclair traversa mon esprit ! L’Atlantide, l’ancienne Meropide de Théopompe, l’Atlantide de Platon, ce continent nié par Origène, Porphyre, Jamblique, D’Anville, Malte-Brun, Humboldt, qui mettaient sa disparition au compte des récits légendaires, admis par Posidonius, Pline, Ammien-Marcellin, Tertullien, Engel, Sherer, Tournefort, Buffon, d’Avezac, je l’avais là sous les yeux, portant encore les irrécusables témoignages de sa catastrophe.

Au final cette série d’articles nous aura permis de nous faire une idée de l’image qu’une ville a donné d’elle au cours des siècles sans que nul ne l’aie jamais vue, sans que nul ne puisse jamais la visiter. Les villes lointaines et mystérieuses ont toujours fait rêver, les exemples le prouvant au travers des âges sont nombreux mais la spécificité de l’Atlantide, la caractéristique qui la distingue de Timbouctou ou de Beijing c’est qu’elle n’a jamais existé et sera pour toujours la destination où ne pourront nous envoyer les tour-operators. Car l’Atlantide c’est le dernier bastion de l’imaginaire !

Mais ce bastion est aujourd’hui menacé de disparaitre, oublié des hommes en raison de trop nombreuses compromissions et de la montée de la littérature de Fantasy qui offre mille et un mondes d’évasion qui ne nécessitent plus forcément une culture commune pour être appréciés.

Là où l’Atlantide s’inspirait des grecs, des romains, des égyptiens, des mésopotamiens, de mille et une civilisations, là où un auteur pouvait décrire ses fresques comme minoennes et ses chapiteaux comme ioniques ou corinthiens, la Fantasy offre des univers qui n’ont plus besoin de références. Le lecteur lettré peut y reconnaitre les sources des auteurs, mais le public ne veut plus faire cet effort.

Dans ce contexte l’Atlantide va une nouvelle fois sombrer, et ce sera encore la faute des hommes…

Atlantide, la cité imaginaire : Chapitre VIII : L’Atlantide au vingt-et-unième siècle (10/11)

Ce texte est la dixième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 12345678911

Chapitre VIII : L’Atlantide au vingt-et-unième siècle

Si je regarde dans ma bibliothèque personnelle après des ouvrages récents mettant en scène l’Atlantide j’en retrouve cinq dignes de mentions car ils présentent tous une vision différente de la cité, à la fois dans la tradition de ce que nous avons évoqué et s’en détachant par certains aspects.
Certes certains auteurs de romans se servent désormais des dernières théories relatives à Santorin ou à la côte sud de la mer Noire pour créer leur intrigue comme le récent Atlantis de David Gibbins, publié en 2005. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce dernier ouvrage a été rédigé par un archéologue professionnel expérimenté qui s’est servi pour son ouvrage des derniers états de la science afin de lui donner un maximum de crédibilité.

Une autre particularité de ce récit est que l’Atlantide de Gibbins est une ville morte ou personne n’attends les archéologues, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres romans sur la ville, le scénario mettant en scène des terroristes islamistes bien modernes comme principal obstacle à la quête des héros.

Depuis ce premier roman, Gibbins s’est attaché à faire voyager son héros mais a décidé de le faire revenir en Atlantide dans « The Gods of Atlantis » (2011), ou le héros retourne sur le site de la ville et se met en quête de la vérité sur un mystérieux objet atlante retrouvé par les nazis et clé d’une intrigue bien contemporaine. Si les nazis ne sont guère présent que pour faire vendre (et aussi, je pense, permettre à l’auteur de rendre hommage aux victimes de la barbarie nazie), l’ouvrage est surtout remarquable pour la réflexion qu’il introduit quant aux origines du concept de religion, l’Atlantide devenant un moyen pédagogique pour présenter les dernières théories scientifiques en la matière. Gibbins rejoint en cela la méthode utilisée par Jules Verne dont nous parlions au chapitre 3.

Un autre phénomène propre à cette période doit cependant être remarqué, celui de la diffusion du mythe en dehors du monde occidental. En effet la culture japonaise de l’après seconde guerre mondiale, dans sa quête de nouveaux modèles, se servit entre autre de l’Atlantide et d’autres cités mythiques issues de la culture occidentale comme Ys ou Avalon pour se créer de nouveaux référentiels, comme le démontrent une série de productions littéraires, cinématographiques ou vidéo ludiques.

Le premier titre qui apparait dans cette liste est celui de Lincoln Child, “Deep Storm”, très mauvais roman de 414 pages publié en 2007. Ce récit est noué autour du mystère qui entoure une mystérieuse plateforme pétrolière reconvertie et opérée par le gouvernement américain au cœur de l’Atlantique. Les équipes qui y travaillent dans le plus grand secret sont officiellement en quête de l’Atlantide mais une série de mystérieux évènements viennent perturber l’expédition et sont le prétexte à un livre d’aventure-catastrophe qui conduit à la découverte du fait que notre planète à servi de dépotoir pour armements extra-terrestres plusieurs milliers d’années avant notre ère. L’Atlantide n’est donc ici qu’un prétexte à un mauvais remake du roman Sphère de Micheal Crichton.

Autre auteur, autre univers, le roman “Atlantis Found” (traduit en 2000 sous le titre “Atlantide” ) de Clive Cussler nous plonge dans un autre univers et nous fait voyager aux quatre coins de la planète et du temps. De la plus haute antiquité à l’époque contemporaine en passant par la seconde guerre mondiale, du Colorado à l’Antarctique en passant par le troisième Reich, nous suivons ici les aventures de Dirk Pitt et de ses amis, les héros fétiches de Cussler, dans une aventure qui si elle n’a rien de réaliste ( citons simplement et sans rien révéler de l’intrigue le fait qu’un U-Boat nazi soit capable de naviguer et de combattre plusieurs décennies après la fin de la guerre ) n’en reste pas moins une aventure divertissante, honnête roman de gare dans lequel l’Atlantide est intégré dans la perspective des recherches nazies dans le domaine.

“The Hunt for Atlantis” de Andy Mc Dermott, roman de 544 pages publié en 2007, est lui un mélange entre les romans de Gibbins et de Cussler: on y retrouve une archéologue professionnelle qui cherche à découvrir l’Atlantide, aidée par des individus aux objectifs flous qui s’avèrent être les derniers descendants des Atlantes, bien décidés à restaurer la pureté de leur race en déversant sur le monde un virus dont seuls les porteurs d’un gène spécifiques seraient immunisés…

La quête de la jeune femme l’entraine là encore aux quatre coins du monde, lui faisant découvrir des villes atlantes plus ou moins abandonnées dans les jungles du Brésil et dans les neiges du Népal, nécessitant avant cela des passages à New York, en Norvège ou encore dans le palais d’un trafiquant iranien. Le style du roman est correct, même si ici encore la plausibilité de certains passages laisse dubitatif.

Le roman initial s’est ici aussi transformé en premier volume d’une longue série qui ne semble pas encore achevée au moment où je rédige ces lignes (mai 2012). La culture Atlante a laissé de nombreux vestiges allant de l’Atlantide initiale, coulée au large de l’Amérique du Sud, à des avants postes situés au cœur de l’Himalaya et de l’Amazonie. L’aspect technologiquement avancé des Atlantes est là encore présent, avec une mystérieuse énergie magnétique terrestre maitrisée par cette population et capable de devenir une arme effroyable.

La référence à un gène Atlante, présente depuis le premier roman de la série, est aussi intéressante car elle renvoie aux mythes nazis et à la race aryenne, montrant que l’auteur a décidé d’intégrer dans ses récits plusieurs aspects des mythes entourant la cité imaginaire : contrairement à Gibbins, Mc Dermott privilégie les éléments qui vont résonner dans l’inconscient collectif du vingt-et-unième siècle plutôt que de porter une réflexion sur notre société ou sur le passé.
L’Atlantide apparait également sous la plume de Bernard Werber dans sa trilogie des dieux (à partir de 2004), où l’un des protagonistes de la grande partie de création du monde décide de tricher en créant une telle Atlantide pour protéger son peuple, lequel est presque détruit par un grand raz de marée provoqué par les arbitres. Plus tard il recrée une néo-Atlantide écologiste qui est une adaptation du mythe pour le 21ème siècle. Le récit de Werber est bien plus proche des textes antiques et c’est avant tout l’aspect philosophique de l’Atlantide qui apparait ici, plus que tout élément d’aventure comme ceux trouvés dans les autres romans cités ci-dessus.

On notera (et c’est peut-être une conséquence de ma politique d’acquisition qui rendrait toute tentative de conclusion caduque) la prépondérance des publications anglophones. Il faudrait une étude bien plus poussée pour dresser un tableau plus complet mas l’on constate néanmoins qu’ils rentrent assez bien dans les schémas observés pour les époques antérieure, comme quoi il n’y a rien de neuf sous le soleil !

Bien entendu les courants audio-visuels observés dans le chapitre précédant continuent de se développer en ce premier quart du vingt-et-unième siècle, avec surtout l’apparition notable d’une Atlantide réinventée dans la série Stargate Atlantis, laquelle met en scène une cité-vaisseau spatial submergée dans une lointaine galaxie et évacuée par ses habitants ensuite réfugiés sur Terre, une évacuation ayant donné naissance au mythe.

Cette série va reprendre nombre de concepts inventés par les auteurs du début du vingtième siècle, mais introduit une innovation en ce sens que la cité est en elle-même partie du parcours initiatique de ses découvreurs, lesquelles doivent apprendre son fonctionnement, découvrir ses limitations, et comprendre les mystères qu’elle abrite sans pouvoir rencontrer d’Atlante, ici appelés « Anciens ».

On peut considérer que cette série est la dernière apparition en date « grand public » du mythe, et cette Atlantide spatiale aura sans doute fortement atténué l’image du mythe original, désormais masqué par cette réinterprétation visuelle à grand budget.

Autre production des années 2000, le film « Atlantis, l’Empire perdu » des studios Disney se pose comme l’antithèse de la série de S-F en ce sens qu’il reste proche des romans d’aventure du début du siècle, ici adaptés pour un très jeune public. Néanmoins il est aussi à noter que le film fait un certain nombre de clins d’œil à l’un des personnage de la série Stargate et de Stargate Atlantis, tout en s’inspirant également de Jules Vernes (et peut-être, mais ils le contestent, d’un anime japonais de 1990 qui mettait lui aussi Atlantis en scène, « Nadia et le secret de l’eau bleue »)

Le vingt-et-unième siècle voit donc l’Atlantide évoluer une nouvelle fois entre d’une part ceux qui restent fidèle au mythe et à ses déclinaisons « classiques » telles qu’elles se sont formées au cours des deux derniers siècles et d’autre part ceux qui la déforment au point de la rendre méconnaissable, ne gardant guère que le nom pour faire résonner une note familière à l’oreille du public.

Atlantide, la cité imaginaire : Chapitre VII : L’Atlantide de la seconde moitié du vingtième siècle (9/11)

Ce texte est la neuvième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 123456781011

Chapitre VII : L’Atlantide de la seconde moitié du vingtième siècle

Il n’existe pas encore d’étude portant sur la réception du mythe de l’Atlantide depuis la fin de la seconde guerre mondiale qui soit comparable à l’ouvrage de Foucrier (qui ne se penchait déjà que sur le seul aspect littéraire, sans étudier la production cinématographique ou picturale inspirée par le mythe).
On note cependant par de rapides recherches sur internet que plusieurs dizaines de films et une vingtaine de jeux vidéo ont été inspirés par le mythe, reprenant de manière plus ou moins lâche le texte de Platon ou s’inspirant de romans d’aventure, à moins qu’il ne s’agisse de scénarios originaux visant à donner de nouvelles aventures à des héros célèbres comme Lara Croft, Mac Guyver ou Indiana Jones.

Cependant on constate en général que l’on reste dans la continuité des grands courants définis durant la première moitié du vingtième siècle sans qu’il ne semble y avoir de grandes innovations. Pourtant le lecteur attentif peut trouver des éléments intéressants.

Parmi les œuvres célèbres de cette période, on peut mentionner « L’Enigme de l’Atlantide » (1957), septième volume de la célèbre série de bande dessinée « Blake et Mortimer » de Edgar P. Jacobs, un récit très proche des romans du premier quart du siècle. Toujours dans le domaine de la BD, le Scrameustache et Corto Maltese rencontreront également l’Atlantide de façon plus ou moins directe, même Donald et Picsou la croiseront sur leur chemin. N’oublions pas non plus Astérix et Obélix qui cherchent à rendre à ce dernier son corps d’adulte…

Côtés romans, Henry Vernes entrainera son héros Bob Morane en Atlantide, mais il faut surtout noter ici deux évolutions nouvelles. La première fut l’intégration  de l’Atlantide avec le mythe arthurien par Stephen Lawhead dans un cycle de Pendragon en cinq volumes publiés à partir de 1987 et dans lesquels on voit la Dame du Lac devenir une Atlante.

Ce concept similaire à celui que Marion Zimmer Bradley utilise à la même époque dans son propre cycle arthurien, Le cycle d’Avalon : un volume publié en 1987 s’intitule en effet « La chute d’Atlantis », l’auteur ayant fait de ses personnages arthuriens des réincarnations d’Atlantes ayant emmené de leur passé haines et amours.

L’Atlantide était depuis longtemps intégrée à la Fantasy, cette forme de littérature qui n’avait alors pas encore acquis le renom et la légitimité qui est la sienne aujourd’hui. Conan le Barbare, héros des romans qu’Howard et ses continuateurs publièrent à partir des années 30, vivait dans un univers né de la chute de la Cité. On a déjà mentionné au chapitre précédent le fait que Tolkien va également évoquer l’Atlantide dans son Silmarillon, publié dans les années 70. Le lien entre Atlantide et Fantasy va continuer à se renforcer durant le dernier quart du vingtième siècle.

Cette évolution vers la fantasy sera sans doute la principale caractéristique à retenir pour cette période au final relativement peu féconde en comparaison avec l’ère précédente ou avec le début du vingt-et-unième siècle, lequel verra de nombreuses publications et surtout verra le mythe s’associer avec la science-fiction d’une manière encore jamais vue dans le cadre de la série télévisée Stargate Atlantis.

En parlant d’images animées, notons que cette période verra aussi la sortie de nombreux films évoquant la cité engloutie (y compris certains Godzilla-like japonais qui font de l’Atlantide le berceau de leurs monstres !), de même que des dessins animés (l’Atlantide apparaîtra même dans les « Tortues Ninja », célèbre série des années quatre-vingt) et des séries télévisées à l’instar de Flipper le dauphin ou, plus logiquement (quoique…) dans la série Hercule, dont fut dérivée la série Xena la guerrière…

Mais j’avoue avoir à titre personnel un faible pour l’apparition du mythe dans la série de dessins animés « Les mystérieuses cités d’or », dans laquelle on apprend que la cité entra en conflit avec une autre super-civilisation disparue, celle de Mu, une disparition due à la destruction mutuelle des deux cultures engendrée par des armes de destruction massive utilisées dans le cadre d’une guerre née d’un malentendu… Cette version, quoique éloignée de celle de Platon, conserve tout de même certaines des caractéristiques du mythe que nous avons déjà rencontré dans notre étude : hubrys, savoir avancé, destruction infligée par son propre comportement…

Notons un dernier aspect de la présence du mythe de l’Atlantide à cette époque : son apparition dans le domaine musical. En effet l’Atlantide va devenir un sujet de chanson, principalement dans les registres du rock ou du hard rock et de ses dérivations ultérieures. On songera bien sûr au titre « Lament for Atlantis » de Mike Oldfield, un des grands expérimentateurs du rock et des instruments électroniques des années 70 et 80, ou encore au groupe Therion qui publia en 1999 l’album « Crowning of Atlantis », reprenant le thème de la cité engloutie en 2004 avec une chanson baptisée  « Lemuria ». Cette présence musicale de l’Atlantide va persister jusqu’à nos jours, inspirant de nombreux groupes de Metal Symphonique ou néo-classique comme le groupe italien Ataraxia (album « Lost Atlantis », 1999)

Atlantide, la cité imaginaire : Chapitre VI : L’Atlantide de l’entre-deux guerres (8/11)

Ce texte est la huitième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 123456791011

Chapitre VI : L’Atlantide de l’entre-deux guerres

Outre le caractère (pseudo-)scientifique que prend une partie de la production littéraire sur l’Atlantide on constate durant l’entre-deux guerres une nouvelle évolution du mythe liée avant tout à l’effondrement du positivisme dominant avant la première guerre mondiale. Nous avons déjà vu la vision pessimiste de Lovecraft, auteur singulier qui ne saurait représenter son temps, mais il faut bien reconnaitre que ses contemporains sont hantés par l’idée d’un déclin de la civilisation comme le montrent de nombreux textes. Là où les textes d’avant la première guerre mondiale était emprunts de spéculation scientifique (ou assimilée comme telle, cf. les sciences occultes) ramenant à l’aspect culturel de l’Atlantide, la production d’après-guerre est, elle, plus liée aux évènements historiques, balancement lié à la société qui produit ces œuvres mais balancement rendu possible par les caractéristiques du roman platonicien.

On constate que cette période voit un net accroissement des publications sur le thème de l’Atlantide par rapport à une période 1870-1914, période pourtant déjà prolixe. C’est de cette époque que datent aussi certaines des meilleures publications comme l’ »Atlantide » de Pierre Benoît, publiée en 1919 et qui connaitra pas moins de 4 adaptations au cinéma, et « La ville du gouffre » de A. Conan Doyle déjà cité.

La plupart de ces récits utilisent la vision platonicienne d’une cité décadente et condamnée, la plupart des Atlantide de l’époque finissant englouties sous les eaux. L’Atlantide de cette époque est avant tout devenue un toponyme destiné à servir de décors aux crises de l’Occident, ses échecs et ses illusions perdues autant que son angoisse face à l’avenir. Un exemple de cet état d’esprit peut aussi être recherché dans l’œuvre de J.R.R. Tolkien dont il apparait qu’il a créé l’île de Numenor, mentionnée dans le Silmarillon (qui fut publié en 1977 de manière posthume) en se basant sur le mythe platonicien, lui donnant le nom d’Atalantë dans l’une des nombreuses langues créées pour son univers.

Pour certains auteurs germaniques, l’Atlantide c’est l’Allemagne d’après Versailles, puissance défaite, peuple vaincu, nostalgique de sa grandeur passée. C’est surtout vrai après 1920, date de parution du poème épique « Atlantis, Des Untergang einer Welt » (« Atlantide, la chute d’un monde ») de O. Hauser dans lequel l’auteur met en scène une série de tribus primitives mythiques s’affrontant dans l’Europe préhistorique. Vont ensuite se succéder des textes qui vont créer toute une mythologie nouvelle qui sera utilisée par Alfred Rosenberg, le théoricien du nazisme.

L’Atlantide de Rosenberg c’est Thulé, la terre de l’extrême nord dont sont issus tous les peuples et toutes les cultures, lieu encore existant selon lui. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec l’ouvrage d’Olof Rudbeck de 1679 mentionné plus haut qui cherchait lui aussi à démontrer l’origine atlantidéenne des tribus germaniques (et, dans le cas de Rudbeck, des Suédois). Pour Rosenberg la tribu honorée n’est pas le peuple goth mais la race aryenne, descendants directs des Atlantes.

C’est au cœur de la littérature atlantidéenne ésotérique que vont plonger les racines du national-socialisme et la théorie de l’infériorité des peuples sémites. Le mythe grec est germanisé, rapproché des divinités scandinaves au point que la capitale de l’Atlantide-nation deviens Asgard, la capitale des Dieux nordiques. La réécriture du mythe passe aussi par la transformation du récit originel pour faire du peuple vaincu, déchu par les Dieux, un peuple victime d’une injustice, image plus proche de celle que les Allemands avaient d’eux même à cette époque.

L’Atlantide est un endroit formidable car il est à la fois présent dans toutes les consciences et suffisamment mystérieux que pour être réécrit et devenir le porteur de messages radicalement opposés. Car en effet si elle peut être le flambeau ralliant les nazis, elle peut aussi devenir le cadre d’une mise en garde contre Hitler comme sous la plume de l’auteur tchèque K. Capek qui publia en 1936 son ouvrage « La guerre des Salamandres » dans lequel il prophétise la disparition des envahisseurs Atlantes sous l’effet de leurs propres armes…

Atlantide, la cité imaginaire : Chapitre V : L’Atlantologie (7/11)

Ce texte est la septième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 123456891011

Chapitre V : L’Atlantologie

Nous avons déjà mentionné la question de l’atlantologie, cette pseudoscience dédiée à la recherche de l’Atlantide dans le monde réel. Tout vient de l’apparence de crédibilité que Platon donne à son mythe : qualité des sources, insistance littéraire sur le fait qu’il s’agit de la « vérité » et non d’un « mythe », mention dans un contexte sérieux (la première mention de la ville se fait dans un passage ou Critias parle du déclenchement des catastrophes par des facteurs astronomiques), etc…

Comme mentionné dans le premier chapitre, nombreux sont ceux à s’être prononcé depuis la plus haute antiquité sur la véracité des évènements racontés : Aristote parlait de mensonge, Strabon de réalité, les philosophes et les antiquaires de la Renaissance et des temps modernes sont partagés, les savants des derniers siècles le sont tout autant. Certains rédigent des ouvrages présentant l’Atlantide telle qu’elle leur est apparue en songes, d’autres cherchent à l’aide des nouvelles sciences du XIXème des indices sur son emplacement.

En 1926 Claudius Roux et Jean Gattefossé publient une « Bibliographie de l’Atlantide et des questions connexes » qui recense déjà près de 1700 titres tandis que Pierre de Jarnac évalue en 1989 à 5000 publications la masse d’ouvrages consacrés à la ville engloutie. Et en 2004 une recherche internet menée par Foucrier trouvait près de 90 000 pages…

Ces recherches mettent en œuvre une foule de techniques différentes allant de la géologie au spiritisme en passant par les fouilles archéologiques et l’oniromancie. Il est fréquent de voir ces auteurs considérer que l’Atlantide a été la mère formatrice des peuples, celle qui leur à tout apprit. Les civilisations précolombiennes sont souvent présentées comme constituées des survivants de la catastrophe. Parmi les arguments avancés on parle de similitudes entre les hiéroglyphes égyptiens et ceux des Mayas ou encore de l’importance des pyramides dans ces deux cultures.

En outre la fin du XIXème voit un regain d’intérêt pour l’étude des mythes et légendes, avec la compilation de nombreux florilèges et d’encyclopédies qui nous ont ainsi conservé maintes légendes orales aujourd’hui disparues. C’est par exemple de cette époque aussi que datent nombre d’études sur Ys, avec une stabilisation des éléments du récit qui ne se fera qu’en 1926 sous la plume de  Charles Guyot.

Les thèses anthropologiques du diffusionnisme (pour lesquelles les idées sont inventées une seule fois avant de se diffuser de manière concentrique autour du point d’invention, se transmettant ainsi de cultures en cultures) sont encore à l’honneur à l’époque et l’on considère que la plupart des civilisations n’ont pas inventé de nouvelles choses mais se sont contentées de les adopter après les avoir vu à l’œuvre chez leurs voisins.

Le mystère des cultures méso-américaines fut important pour le développement de l’atlantologie durant cette période : les textes précolombiens n’étaient pas encore traduits malgré les prétentions de certains et beaucoup d’hypothèses furent échafaudées sur des idées comme celle selon laquelle le Maya était issus du grec ancien…

A côté de ces « recherches » quelque peu fantaisistes, des scientifiquent se fondèrent sur des arguments plus sérieux et je ne vais évoquer ici que quelques exemples fondés sur l’archéologie.

Il existe une série d’hypothèses qui essayent d’expliquer l’existence du mythe de l’Atlantide ( et du Déluge biblique ) par la mise en rapport avec des découvertes archéologiques incontestables qui ne seraient pas le site de l’Atlantide, imaginaire, mais le lieu de naissance de la tradition orale qui aurait conduit à la rédaction du mythe.

L’un de ces lieux est l’île de Thera/Santorin. Détruite en grande partie par une éruption volcanique au XVIIème siècle avant notre ère elle a livré les vestiges d’une véritable Pompéi de l’âge du bronze. Culture brillante liée aux Minoens (Crétois antiques) qui souffrirent énormément des conséquences de l’éruption du volcan (notamment en raison de nuages de cendres et de tsunamis) elle est l’un des sites ayant pu donner naissance au mythe de l’Atlantide comme le propose notamment Rodney Castleden dans son ouvrage de 1994 « Atlantis Destroyed » et comme l’avaient fait avant lui des auteurs comme le Commandant Cousteau.

Une autre thèse est celle de la côte sud de la mer Noire. En effet il est prouvé depuis les recherches de W. Ryan et W. Pitman du Lamont Doherty Earth Observatory de New York en 1999 et de G. Lericolais de l’IFREMER qu’une montée des eaux de la Méditerranée s’est produite il y a près de 7500 ans, entraînant la submersion d’une vaste région habitée du nord de la Turquie actuelle, ce qui a sans doute pu donner naissance au mythe du déluge ( c’est notamment la région du mont Ararat, mont sur lequel s’échoue l’arche de Noé selon l’Ancien Testament ).

J. Collina-Girard, géologue de l’Université de Provence, a une autre thèse fondée sur des relevés sonars menés à l’entrée du détroit de Gibraltar qui permettent de penser qu’une série d’îles sortait de l’eau à cet endroit jusqu’à de profonds bouleversements géologiques vers 9000 av. J.C. Cependant plusieurs auteurs ont relevé que l’emplacement des colonnes d’Hercule semblait avoir varié selon les époques et qu’il n’était absolument pas possible de certifier que Platon pensait bien au détroit de Gibraltar lorsqu’il mentionna les colonnes dans ses ouvrages.

Finalement on peut se poser la question de savoir s’il n’y aurait pas non une mais bien plusieurs Atlantide au fond des océans, le principal mérite de la cité pour les scientifiques étant alors de les pousser à les rechercher, conduits par une chimère utile.

Atlantide, la cité imaginaire : Chapitre IV : L’Anti-Atlantide de H.P. Lovecraft (6/11)

Ce texte est la sixième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 123457891011

Chapitre IV : L’Anti-Atlantide de H.P. Lovecraft

La science, un autre auteur de cette époque ne l’aimait pas. Il la craignait, elle l’horrifiait et lui inspirant de terribles rêves. Cet auteur c’est H.P. Lovecraft, l’un des pères de la littérature de fantasy et d’horreur.

Pour lui aussi l’Atlantide sera aussi un mythe important car elle lui fournira le modèle de R’lyeh, « la cité aux corps morts, couverte d’algues ». Lovecraft, technophobe et antipositiviste si il en est, a créé toute une mythologie basée sur un monde caché dans lequel rodent d’effroyables créatures dont le terrible Cthulhu, indescriptible horreur vivant au fond des eaux au sein de sa cité cachée, laquelle jaillit des eaux dans la nouvelle « L’appel de Cthulhu », publiée en 1926.

Ici encore, comme chez Platon, la mer a engloutit les surhommes châtiés. Et si le rapprochement entre R’lyeh et l’Atlantide est si clair c’est aussi parce que deux autres nouvelles de Lovecraft, « The Temple » ( 1920 ) et « The Descendant » ( 1926, peu avant l’Appel de Cthulhu ) font explicitement référence à la cité de Platon.
Cependant la cité décrite dans « L’appel de Cthulhu » est bien différente de la plupart des autres Atlantide de la littérature :

« … ils arrivèrent à un littoral de boue, de vase et de blocs de maçonnerie cyclopéenne tapissés d’algues, qui ne peuvent être que la substance tangible de la suprême terreur de notre univers, la ville morte de R’lyeh, bâtie des millions d’années avant le début de notre histoire par les immondes créatures géantes sécrétées en de sombres étoiles. (…) Je suppose que seule avait dû émerger des eaux la hideuse citadelle couronnée d’un monolithe démesuré, où était enseveli le grand Cthuluh. (…) Johansen et ses hommes éprouvèrent une stupeur effarée devant la majesté cosmique de cette Babylone ruisselante bâtie par des démons anciens. Ils durent comprendre instinctivement qu’elle n’appartenait pas à notre monde ni à aucune planète sensée. Leur crainte face à l’énormité des blocs de pierre verdâtre, la hauteur vertigineuse du grand monolithe gravé et la ressemblance frappante des statues et des bas-reliefs monumentaux avec l’étrange idole trouvée sur l’Alert dans son reliquaire, tout cela apparaît de façon poignante avec son effroi à chaque ligne de la description. Sans rien connaître du futurisme, Johansen s’en rapproche beaucoup quand il parle de la ville ; au lieu de décrire une construction ou tel bâtiment précis, il privilégie l’impression générale d’angles et de surfaces immenses – trop pour appartenir ou convenir à cette terre – couverts d’hiéroglyphes et d’images impies. Je mentionne ce qu’il dit des angles car cela rappelle un propos de Wilcox au sujet de ses terribles rêves. Le jeune sculpteur disait que la géométrie de sa ville rêvée était anormale, non-euclidienne, en ce qu’elle évoquait de détestables sphères et des dimensions étrangères aux nôtres. … » (H.P. Lovecraft, L’appel de Cthulhu, in Dans l’abîme du temps, folio SF 37, pp. 211-215)

Et la description continue ainsi sur plusieurs pages. L’Atlantide de Lovecraft est une Atlantide de mort, l’attrait qu’elle suscite est une passion du morbide et de la folie.

Le mythe de l’Atlantide entre grâce à ces récits dans la conscience populaire, qui s’en empare. La brièveté du présent article m’empêche de traiter de tous les ouvrages qui ont marqué l’atlantologie à cette époque, je me suis donc concentré sur les ouvrages disponibles dans ma bibliothèque et sur internet, mais l’ouvrage de Foucrier ( dont on a déjà donné la référence dans notre premier article ) fournit une bonne analyse de ce phénomène et montre surtout comment le contexte politique des années 1870-1939 s’était montré particulièrement favorable à des récits qui, pour la plupart, racontent la décadence d’un Etat dominateur, éléments masqués derrière un récit romanesque.

On remarquera également que plus on avance dans le temps, plus la littérature de fiction passe d’un enthousiasme radieux et d’une confiance à toute épreuve en l’homme et la science à une vision de plus en plus pessimiste du monde dont Lovecraft est pour ainsi dire un aboutissement.

Dans tous ces récits une constante est l’appel à la capacité de l’esprit du lecteur de faire la synthèse entre des éléments culturels très disparates comme le montre l’Atlantide de A. Conan Doyle dans son roman « La ville du gouffre ». L’auteur y mélange couleurs vives rappelant les codex précolombiens, statues semblables à la fois aux Bouddha hindou et aux Baal ou Moloch puniques, et nombres d’autres éléments. Syncrétisme des lieux, syncrétisme des époques, le tout pour un lectorat qui ne connaît pas forcément les modèles nécessaires à l’évocation de l’image décrite par l’auteur.

Atlantide, la cité imaginaire : Chapitre III : La nouvelle Atlantide (5/11)

Ce texte est cinquième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 123467891011

Chapitre III : La nouvelle Atlantide

Avec le XIXème siècle et le courant positiviste qui domine durant une grande partie de cette époque on assiste à un renouveau des recherches « scientifiques » (mais avant tout scientistes) sur l’Atlantide, aidé par les nouvelles découvertes scientifiques dans le domaine de la géologie et de la préhistoire par exemple. On retrouve l’Atlantide aux quatre coins du monde et même, dans la littérature de fiction, jusque dans l’espace. En cette époque de grandes expéditions au cœur de l’Afrique ou de l’Asie on imagine même l’existence possible de survivants de la civilisation atlante en quelque point reculé du globe.

Tous ne tombent cependant pas dans ces excès : Thomas Henri Martin, qui publie en 1841 une traduction commentée du Timée, met en garde contre une lecture réaliste du mythe de Platon. Mais la force même du texte original avec son interruption brutale et son récit fantastique le dote d’un attrait tel que beaucoup y succombent.

Tous ceux qui écrivent à partir de cette date sur le mythe de l’Atlantide n’ont pas forcément lu les textes originaux, ce qui explique parfois le grand écart entre ceux-ci et les ouvrages de cette époque.

En dehors des ouvrages « scientifiques » on constate la plupart du temps la transformation en récit romanesque de la fable politique originale. L’Atlantide est alors bien souvent un décor exotique qui plaît car il rappelle, de par son lien avec la Grèce, le style (néo-)classique en vogue à l’époque mais rendu encore plus attrayant par des éléments extérieurs.

Le récit comprend souvent un voyage, semé d’embûches, puis une phase de découverte et d’adaptation à la nouvelle réalité avant que ne surgissent des éléments perturbateurs parmi lesquels une romance et des troubles politiques dans la société Atlante reviennent souvent, causant dans la plupart des cas le départ des héros et la destruction de la cité et de ses habitants.

Cependant il faut noter que même dans ces cadres romanesques subsistent des traces de l’utopie de Bacon et de la fiction politique de Platon avec généralement une forte tendance au manichéisme : souvent le terrien débarquant en Atlantide va aider le parti des « bons » dont les valeurs morales et politiques sont jugées supérieures à lutter, parfois sans succès, contre les « méchants », souvent dépravés.

Tel est le cas des astronautes d’A. Toltstoï dans son « Aelita ou le déclin de Mars » publié en 1922 ou celui des naufragés de D.M. Perry dans son roman « The Scarlet Empire » publié en 1906 où les héros ont à affronter un régime communiste où l’égalitarisme est poussé à son paroxysme.

Les héros de Perry étaient parvenus en Atlantide au moyen d’un sous-marin, ceux de Tolstoï en fusée. Jules Verne a lui aussi utilisé le sous-marin dans « 20 000 lieues sous les mers » pour faire visiter l’Atlantide à ses héros guidés par le capitaine Némo : la science est ici associée à la découverte de l’Atlantide, qu’elle soit encore debout comme dans ces deux premiers exemples ou qu’elle ne soit plus que ruine comme chez Jules Vernes :

 « En effet, là, sous mes yeux, ruinée, abîmée, jetée bas, apparaissait une ville détruite, ses toits effondrés, ses temples abattus, ses arcs disloqués, ses colonnes gisant à terre, où l’on sentait encore les solides proportions d’une sorte d’architecture toscane ; plus loin, quelques restes d’un gigantesque aqueduc ; ici l’exhaussement empâté d’une acropole, avec les formes flottantes d’un Parthénon ; là, des vestiges de quai, comme si quelque antique port eut abrité jadis sur les bords d’un océan disparu les vaisseaux marchands et les trirèmes de guerre ; plus loin encore, de longues lignes de murailles écroulées, de larges rues désertes, toute une Pompéi enfouie sous les eaux, que le capitaine Némo  ressuscitait à mes regards. Où étais-je ? Où étais-je ? Je voulais le savoir à tout prix, je voulais parler, je voulais arracher la sphère de cuivre qui emprisonnait ma tête. Mais le capitaine Némo  vint à moi et m’arrêta d’un geste. Puis, ramassant un morceau de pierre crayeuse, il s’avança vers un roc de basalte noir et traça ce seul mot : Atlantide. » (Jules Verne, 20000 lieues sous les mers, volume 2, chapitre 9)

Jules Verne profite de l’occasion pour entourer ce passage d’un cours de biologie marine et de géologie d’une part, d’une narration du mythe de Platon et d’un bref aperçu sur les controverses nées du récit de l’autre. C’est une autre manière d’associer science et Atlantide, en faisant de sa découverte l’occasion d’une leçon, d’une éducation, qui passe elle aussi par un accès difficile, mini récit au cœur du roman, version miniature du grand schéma du récit atlantidéen.

Atlantide, la cité imaginaire : Chapitre II : La lumineuse Renaissance du mythe (4/11)

Ce texte est la quatrième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 123567891011

Chapitre II : La lumineuse Renaissance du mythe

La Renaissance voit apparaitre une nouvelle interprétation du mythe de l’Atlantide sous la plume de Francis Bacon, qui rédige en 1627 sa célèbre utopie New Atlantis. Cette publication marque un véritable tournant dans la production littéraire sur l’Atlantide car pour la première fois un auteur se sert directement et clairement de l’Atlantide pour créer quelque chose de nouveau. Cet ouvrage est aussi l’une des premières utopies rédigées depuis la Cité de Dieu de Saint Augustin, œuvre majeure du 5ème siècle.

En tant qu’utopie, la nouvelle Atlantide de Bacon propose un projet de vie fondé sur la recherche scientifique. La communauté fictive de Bensalem est entièrement tournée vers le progrès scientifique, lequel garantit le salut de l’âme.

C’est évidemment une toute nouvelle symbolique pour la ville qui cesse ainsi d’être la cité du pêché pour devenir celle du salut, d’abord celle du salut de ses habitants puis celui du monde entier lorsque les grands prêtres de cette technocratie théocratique autorisent les Européens qui y ont échoué à repartir vers leur monde afin d’y partager le savoir qu’ils ont acquis durant leur séjour.

A partir de ce moment le mythe de l’Atlantide va être relu de plusieurs manières selon deux orientations : la première consiste en une lecture (pseudo-)scientifique du mythe, dans le cadre de laquelle on essaye de rattacher la ville disparue au monde historique et géographique tandis que la seconde, phénomène surtout visible à partir du XIXème siècle, est faite de récits littéraires, le plus souvent en prose et n’étant pas forcément de nature romanesque, ayant une valeur soit de divertissement soit de réflexion philosophique ou politique.

Les auteurs de la Renaissance et de l’époque moderne se divisaient principalement en deux groupes selon qu’ils considéraient l’existence de l’Atlantide possible ou non. Ceux qui en réfutaient l’existence le faisaient généralement sur une base théorique, pour ne pas dire théologique, relayant en cela la position de l’Eglise, toujours réticente pour ne pas dire hostile face à la mythologie païenne.

Pour certains il s’agissait au mieux d’une mauvaise interprétation du texte biblique, Platon étant souvent considéré comme l’interprète grec du dogme chrétien comme on le constate dans les œuvres de Marsile Ficin (15ème siècle), Jean de Serres (16ème siècle), Eurenius et bien d’autres encore. A force de rechercher dans les textes de Platon des liens avec l’Ancien Testament certains iront jusqu’à déclarer que les Atlantes ne sont autres que les Hébreux et l’Atlantide, terre perdue, était la Palestine.

Tous ces débats sur un peuple disparu n’apparaissant pas dans la Bible doivent être remis dans le contexte plus général des débats sur l’existence de peuplades inconnues sur les terres nouvelles des Amérique. L’Atlantide devient alors le pont par lequel les populations européennes ( donc liées au monde catalogué par la Bible ) avaient pu coloniser l’Amérique et le message de Dieu se propager sur ces terres lointaines avant que ne disparaisse ce pont. Évidemment cette explication rationnelle pour les auteurs de l’époque était avant tout un moyen de se rassurer et de conforter les concepts ethnocentristes européens comme l’explique C. Foucrier dans son ouvrage Le mythe littéraire de l’Atlantide (1800-1939) (sans doute la meilleure analyse de la destinée littéraire de l’Atlantide publiée en français).

Cette idée d’un continent pont entre les Amérique et l’Europe et moyen de diffusion de l’espèce humaine et des idées sera reprise plus tard par les naturalistes du XIXème pour inventer le continent de Lémurie, seul moyen pour eux d’expliquer la diffusion de nombreuses espèces des deux côtés du Pacifique à une époque où l’idée de dérive des continents n’existait pas encore.

A l’époque des Lumières le mythe continue de passionner les auteurs qui débattent du rôle exact de l’Atlantide dans la naissance de la civilisation. Si Gamboa considérait en 1572 que Atlas, fondateur de l’Atlantide, était le fils du Japhet biblique ( en raison d’une homonymie avec le titan Japet de la mythologie grecque, père d’Atlas dans la Théogonie d’Hésiode ) et que l’Amérique était la partie immergée de l’ancien empire disparu, les auteurs du XVIIIème comme Gian Rinaldo Carli considéreront eux que les lois des Indiens étaient les meilleures et que ce furent les Indiens qui vinrent coloniser l’Europe et la civiliser en des temps anciens, une hypothèse d’ailleurs assez risquée à cette époque où l’Eglise restait très puissante…

C’est donc du XVIIIème siècle que date l’idée que les Atlantes auraient été des êtres supérieurement cultivés dominant tant dans le domaine de la technique que dans celui de de la morale ou celui des choses intellectuelles en général. Des barbares Atlantes venus envahir l’Europe on était passé à une civilisation brillante et pacifique, de bons sauvages qui auraient régressé au fil du temps et des catastrophes naturelles. Exit donc l’hybris du mythe platonicien, fini le châtiment divin, place à un univers très rousseauiste, très conforme à l’ère du temps. L’Atlantide est ici une ville où l’auteur trouve ce qu’il cherche, un lieu où il est assuré de trouver l’objectif de sa quête morale et l’exemple à donner à ses lecteurs.

Dès 1679 on trouve les prémices de ce mouvement dans Atlantica de Olof Rudbeck, dans laquelle l’auteur suédois se servait des mythes scandinaves pour relire le mythe de Platon et faire d’une Atlantide relocalisée en Suède la mère de toutes les civilisations, procurant aux Goths qui habitaient ces régions dans l’Antiquité de prestigieux ancêtres et ce à un moment où l’empire suédois commençait déjà à décliner et cherchait à se rassurer dans l’exaltation du sentiment national. C’est là la première des utilisations du mythe de l’Atlantide à des fins nationalistes, qui culminera sous le régime nazi.

C’est ici, au seuil du XIXème siècle, grand siècle de la fortune littéraire de l’Atlantide, que s’achève ce second article qui, je l’espère, vous aura déjà montré que derrière le vieux mythe antique se cachent différentes récupérations, différents centres d’intérêts qui tous relèvent des préoccupations du temps des différents auteurs.

Atlantide, la cité imaginaire : Chapitre I : Au commencement était Platon (3/11)

Ce texte est la troisième partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 134567891011

Chapitre I : Au commencement était Platon

L’Atlantide est « née au monde » vers 350 avant notre ère sous la plume de Platon, philosophe athénien dont les écris de cette période concernent avant tout la politique, l’activité de la Cité, lui qui connut dans sa jeunesse la guerre du Péloponnèse et dans sa vieillesse la guerre contre Philippe II de Macédoine. L’objectif de Platon dans ses dialogues intitulés Timée et Critias était de fournir le modèle de la cité idéale, afin de permettre son apparition dans le monde réel et surtout d’éviter la décadence d’Athènes. Pour ce faire il entreprit de décrire comment les Grecs avaient pu, au fil des siècles, résister à de puissants ennemis dirigés par des souverains mythiques.

C’est dans ce contexte qu’il mentionne le combat des Athéniens vivant près de 9000 ans avant Solon (qui vécut des alentours de 640 à 558 av. J.C. ) contre une puissante nation composée des descendants d’Atlas, un fils de Poséidon, guerre qui s’acheva lorsque la terre et les flots engloutirent l’armée athénienne et la ville de leurs ennemis. Ce récit, sur la véracité duquel insiste Platon, est raconté par Critias, l’un des 30 tyrans de la révolution oligarchique de 404 av. J.C., qui l’aurait lui-même apprise par la tradition familiale, son arrière-arrière-grand-père l’ayant reçue de Solon, le grand homme l’ayant apprise auprès d’un grand prêtre de Saïs, un des lieux les plus sacré de l’ancienne Égypte.

Platon reprend son récit de manière plus détaillée mais avec un certain nombre de contradictions dans un second ouvrage, le Critias, dans lequel il donne une série de détails sur la cité, son organisation politique, son architecture, le mode de vie de ses citoyens, et divers autres éléments.

Dès l’Antiquité des doutes se sont élevés au sujet de la véracité du récit : Aristote, que certains décrivent comme jaloux de son maître, considère qu’il s’agit d’une affabulation de celui-ci. Mais Diodore de Sicile (1er siècle av. J.C.) reprends pour sa part une partie du récit.

D’autres auteurs antiques, tant païens que chrétiens, s’impliquent dans le débat : Pline l’ancien (1er siècle), Tertullien (2ème siècle), Ammien Marcellin (4ème siècle) et Proclus (5ème siècle) en font partie.

Au Moyen-Age on ne trouve pas de mentions de la ville engloutie. En revanche d’autres mythes se répandent qui y ressemblent de manière troublante. Le plus connu d’entre eux  est le mythe de la ville d’Ys : durant la période trouble qui suit le retrait de l’Empire Romain de Bretagne, un souverain local du nom de Gradlon vit dans une capitale protégée par de hautes digues et des écluses dont il porte en permanence la seule clé. Il est le père d’une jeune fille jolie mais débauchée du nom de Dahut qui, séduite par le démon, vole la clé de son père et ouvre les écluses en pleine tempête, provoquant la destruction de la ville tandis que son père est sauvé par St Guénolé (dans d’autres version il est question de St Corentin), lequel était son conseiller le plus proche : c’est ici le triomphe de la foi qui est mis en exergue.

Ce mythe présente évidement de grandes différences avec celui de l’Atlantide, notamment l’apparition du christianisme, mais l’on ne peut s’empêcher d’être frappé par la ressemblance du prédicat de départ, à savoir le fait que le comportement impie d’une population entraîne la destruction de la ville par la noyade. Bien sur le mythe d’Ys reprend nombre d’éléments issus de la mythologie celtique et est recouvert d’un verni chrétien que ne porte pas le récit platonicien mais le message des deux textes est le même, une invitation à bien se conduire.

Le mythe d’Ys n’est pas le seul mythe breton à évoquer ainsi une cité disparue sous les flots : Aise, qui selon certains est une déformation du nom d’Ys, aurait subi un sort similaire (même si le mythe est ici moins complet).

La caractéristique de ces textes est avant tout de rester dans le domaine du mythe éducatif et de l’élévation morale ( et même spirituelle avec l’apparition du christianisme ), la grande leçon étant qu’une vie de débauche et d’impiété entraîne un châtiment divin.

Ce n’est pas un thème rare et l’inondation est souvent utilisée par les dieux pour punir les hommes : de l’épopée de Gilgamesh à la version coranique du déluge biblique en passant par les mythes de Deucalion, fils de Prométhée, ou encore celui de Philémon et Baucis que nous rapporte entre autre Ovide, nous voyons de nombreuses inondations purificatrice de l’espèce humaine. D’autres cultures ont également fait mention dans leurs mythes de déluges comme les Mayas dans le Popol Vuh, un ouvrage souvent appelé « la Bible des Mayas ».

Atlantide, la cité imaginaire : Introduction (2/11)

Ce texte est la seconde partie d’une série consacrée à la place de l’Atlantide dans l’imaginaire collectif. La publication se fait sur base hebdomadaire, cliquez sur les liens ci-contre pour lire les autres chapitres de l’étude : 1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

Introduction

Qu’est-ce qui unit Solon, Socrate, Critias, Platon, Francis Bacon, Jules Vernes, Tolstoï, H.P. Lovecraft, J.R.R. Tolkien, Clive Cussler, Edgar P. Jacobs, Arthur Conan Doyle, Hugo Pratt, Henry Vernes et Indiana Jones, pour ne citer que quelques noms ? Qu’est-ce qui agite les esprits depuis 25 siècles, donnant naissance à des centaines d’œuvres littéraires, picturales ou cinématographiques ? Qu’est-ce qui hante la conscience de l’Occident depuis qu’un philosophe en a parlé dans un traité de morale et de philosophie politique ?

La réponse à ces questions est simple, il s’agit de l’Atlantide, cette terre mythique engloutie il y a des millénaires en raison de l’hybris (terme grec que l’on traduira par « démesure » ou « orgueil») de ses habitants ainsi châtiée par les dieux de l’Olympe. Car l’hybris c’est la volonté de l’homme d’obtenir sur terre plus que la part qui lui a été allouée par les Dieux, c’est donc d’une certaine manière les défier, ce qui doit être châtié. Tantale, Minos, Atrée, et nombre d’autres sont maudits pour cette raison et souffriront tant de leur vivant que dans la mort, leur sort en Enfer étant souvent terrible. Dans la Théogonie d’Hésiode, les différentes races d’hommes (de bronze, de fer, etc.) qui se succèdent sont de même condamnées pour leur hybris, dans un cycle qui voit chaque race inférieure à celle qui la précède.

Cette Atlantide qui a engendré une impressionnante littérature doit sa prospérité à une ambiguïté présente depuis la première mention du mythe par Platon dans le Timée et le Critias, deux dialogues rédigés sans doute autour de la 108ème olympiade, l’an 352 avant notre ère. En effet depuis le début s’est posée la question de la réalité des faits décrits par Platon, et le fait que le texte s’interrompt brutalement au moment où Zeus s’apprête à détruire la cité a encore accrut la fascination que ce récit a eu sur les générations successives.

La présente série d’articles, issue des recherches menées pour un cours à l’université, cherchera à suivre la trace du mythe dans la culture occidentale des époques ultérieures, principalement dans la littérature : des utopies du 17ème siècle, en commençant par celle de Francis Bacon, aux dernières annonces de ( pseudo-) scientifiques concernant la localisation de l’île en passant par les romans et les jeux vidéo, nous verrons combien le mythe a été réutilisé, réinterprété, recréé même par certains au fil des siècles, nous penchant un peu plus en détail sur la période 1800-1939, extrêmement riche.

Mais l’Atlantide n’est pas la seule terre mythique engloutie par les flots : d’autres mythes comme celui d’Ys y ressemblent très fort, raison pour laquelle nous nous intéresserons également aux continents perdus de Mu et de Lémurie ainsi qu’à Avalon et Aise.

Il aurait pu être intéressant d’approfondir notre étude plus encore et de nous intéresser à des cités comme Sodome et Gomorrhe mais c’eût sans doute été aller trop loin pour le cadre limité de la présente série, d’autant plus que ces villes n’ont pas été englouties par les eaux comme le furent les exemples précédents.